Entretien : Franck Sebag – associé EY, responsable national du département des entreprises de croissance & IPO
L’écosystème des startups françaises continue de se structurer. Le baromètre France Digitale sur la performance économique et sociale des startups numériques en France montre que ces sociétés en hypercroissance et ouvertes sur l’international ont gagné en maturité. Elles sont en passe de franchir un nouveau cap dans leur développement. Recruter reste l’un des principaux enjeux de ces sociétés, à côté de la recherche de financements.
Comment l’écosystème français des startups a-t-il évolué en 2016 et au 1er semestre 2017 ?
Franck Sebag – L’écosystème est resté très dynamique. Le baromètre EY du capital-risque montre que les investissements dans les startups sont passés de 897 M€ à 2,216 Mds€ entre 2014 et 2016, soit une progression de 146 %. Le premier semestre 2017 est encore en progression puisque les montants levés ont déjà atteint 1,2 Md€. Le nombre d’opérations est stable (301 en 2016), mais elles ne cessent de croître en valeur. Les startups qui fournissent des services pour Internet et de la technologie représentent toujours les deux tiers de la valeur et du nombre des opérations. L’édition 2017 du baromètre France Digitale sur la performance économique et sociale des startups numériques en France reflète aussi cette dynamique. Cette année, 317 startups ont répondu au questionnaire, contre 224 pour l’édition précédente. Ces sociétés sont encore jeunes puisqu’elles ont six ans en moyenne. Les revenus enregistrés au 31 décembre 2016 ont progressé de 33 % en un an, à 5,3 Mds€. Les startups sont très ouvertes sur le reste du monde. En 2016, 54 % de leur croissance est venu de l’international. C’est la première fois que ce critère, qui constitue un vrai facteur d’accélération, se situe largement au-dessus de 50 %. L’ouverture concerne aussi les petites startups, qui sont 30 % à travailler à l’international. La croissance est deux fois plus importante dans le reste de l’Europe (+ 47 %) et dans le reste du monde (+ 44 %) qu’en France (+21 %). Dans les installations à l’international, on voit une montée en puissance de New York. D’une part, car il devient impossible de trouver des salariés à San Francisco, et d’autre part, car cette localisation est plus adaptée aux sociétés françaises qui se développent dans le BtoB et les médias. Les capital-risqueurs susceptibles d’investir dans ces secteurs sont plus faciles à rencontrer sur la côte Est des Etats-Unis. Austin commence à décoller, mais reste encore très en retrait.
Comment se construit l’attractivité des startups françaises ?
F. S. – La France conforte depuis plusieurs semestres son rang de deuxième place de la tech européenne, derrière le Royaume-Uni et devant l’Allemagne. Nous sommes d’ailleurs en train de passer d’un écosystème de startups à un écosystème de scaleups, qui lèvent de 10 à 20 M€. L’écosystème se construit selon plusieurs axes. La France reste la meilleure école de mathématique au monde avec 13 médailles Fields, ce qui est très important dans un monde de la tech qui repose en grande partie sur les algorithmes. Les fonds publics ont aussi un vrai impact. On retrouve les dispositifs étatiques et les aides de Bpifrance dans un dossier d’investissement sur deux, ce qui double les opportunités des tours de table. On voit aussi que les premiers succès attirent les investisseurs. La part des venture capital (VC) étrangers augmente du fait de l’excellence des startups françaises. 79 % des startups qui génèrent plus de 50 M€ de chiffre d’affaires ont des VC étrangers, et même un tiers des petites startups. C’est le signe que l’écosystème français est attrayant. L’Île-de-France concentre 68 % des levées de fonds, mais certaines régions ont réussi à créer de belles dynamiques en jetant des ponts avec Paris, où se situent la plupart des VC. En attendant une transformation des financements régionaux, les startups peuvent se développer rapidement si elles vont chercher des fonds ailleurs, mais elles gagnent souvent à rester installées dans leur région d’origine.
Quel gisement et quels types d’emploi cela représente-t-il ?
F. S. Les startups de notre baromètre employaient 20 571 personnes à la fin de 2016, soit un nombre en hausse de 25 % par rapport à 2015. L’an dernier, elles ont de nouveau créé 4 064 emplois dans le monde et 94 % déclarent qu’elles souhaitent de nouveau recruter dans les douze mois. Pour chaque emploi créé à l’étranger, il s’en crée deux en France. La technologie et le back office sont souvent gérés dans l’Hexagone, alors que les postes à l’étranger sont plutôt des commerciaux et traduisent les investissements croissants dans le marketing de sociétés devenues plus matures. On a souvent une image déformée des startups. L’âge moyen du manager est de 40 ans et de 30 ans pour les employés. Plus de 90 % des emplois sont des CDI avec des employés ultra-diplômés, mais de plus en plus de startups (45 %) ont recours à des freelances. Recruter reste un de leurs principaux problèmes. Cette année, elles ont continué à chercher des développeurs, qui restent difficiles à recruter, mais les besoins en commerciaux ont augmenté.
Pourquoi peut-on parler de nouveau contrat social en construction avec les startups ?
F. S. – Les startups utilisent de manière massive des moyens de rémunération qui permettent d’associer l’ensemble du personnel à la réussite et à la performance de l’entreprise : 67 % distribuent des bons de créateurs d’entreprise (BSPCE), 14 % des actions gratuites et 18 % des stock-options. Pour ces entreprises dont 75 % sont déficitaires, partager la valeur, c’est avant tout partager la valeur de demain. Les relations sociales se passent plutôt bien, notamment parce que les rémunérations sont assez égalitaires. Un patron de startup est payé en moyenne 2,4 fois plus que ses salariés. On est très loin des écarts que l’on retrouve dans le CAC40.
Quelles sont les priorités pour continuer à faire croître l’écosystème ?
F. S. – Je vois trois types de priorités. Il faut d’abord continuer à créer des relais en matière de financement et trouver de nouveaux gisements. Il y a par exemple dans l’assurance-vie de l’argent qui dort sur des comptes en euros qui ne rapportent presque plus rien. Libérer une partie de cet argent serait un relais de financement énorme. Il y a aussi une réforme structurelle à mener sur les investissements des corporate venture, ces grands groupes qui investissent dans les startups, mais ne jouent pas assez leur rôle en France. Intel investit 1 milliard d’euros par an dans les startups. Même si le mouvement s’accélère avec Publicis, Orange, EDF…, la France n’est pas à la hauteur de ce qui se passe à l’étranger. Si on compare le PIB de la France à celui des Etats-Unis ou d’Israël, le bon niveau d’investissement devrait être sept fois supérieur et atteindre 14 Mds€. Il faut aussi créer un environnement pour que nos startups grandissent et deviennent des Entreprises innovantes de taille intermédiaire (EITI). Nous avons 4 000 ETI en France. Pour les faire passer de 4 000 à 16 000, il faut favoriser l’innovation dans les startups et/ou transformer les ETI. Cet enjeu national va de pair avec la digitalisation des PME. Enfin, il faudrait laisser les startups se développer avec une fiscalité allégée et stable. Et éviter le bad buzz comme on a pu le connaître il y a quelques années. Il faut d’ailleurs prendre garde à ce que la législation sur la fiscalité des Gafa ne finisse pas par casser le mouvement autour de l’écosystème. La France n’a pas besoin de devenir une licorne nation, mais elle a les moyens de devenir une scaleup nation, un pays conquérant dans l’innovation et le numérique.
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